Les Burrneshat ou les vierges jurées d’Albanie

Nerimane Kamberi est allée à la rencontre des dernières burrneshat et nous a transmis leur histoire et leur témoignage à l’occasion d’une conférence qui s’est tenue à la Résidence française le jeudi 23 janvier.

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Mme Marie-Christine Butel, ambassadrice de France au Kosovo

Celles que l’on appelle les Burrneshat, ou les vierges jurées, témoignent d’une tradition vieille de 600 ans, géographiquement située dans les montagnes du nord de l’Albanie. Issu de burrë qui signifie « homme » en albanais, la féminisation de ce mot correspond à la mutation de genre ; des femmes qui deviennent des hommes. Si l’identité change, c’est surtout la dimension de renonciation qui caractérise ce phénomène : devenir un homme et vivre comme tel signifie faire vœu de chasteté, renoncer à toute vie sexuelle. D’ailleurs, Mme Kamberi relate au travers de récits le tabou prégnant lié à la sexualité.

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Mme Nerimane Kamberi, professeur d’université

Par ailleurs, la pérennité de cette tradition, au-delà de toute emprise religieuse, a été permise par l’omniprésence des règles du Kanun dans la société albanaise. Véritable code de conduite, il est érigé en loi pour la communauté albanaise jusqu’au XXème siècle en véhiculant des valeurs fortes telles que la défense de l’honneur et la parole donnée, matérialisées notamment par la récurrente notion de vendetta (« la reprise du sang »).

Dans une société profondément ancrée dans le patriarcat, le statut de femme et les contraintes qui y sont associées motivent certaines femmes à emprunter la voie de l’émancipation et de la liberté en devenant des hommes. La structuration de la société autour du genre masculin exclue les femmes de toute possibilité de posséder, étant elles-mêmes considérées comme une propriété. C’est dans cette absence de perspectives que des femmes choisissent de devenir des hommes en absorbant, de fait, leurs avantages et leurs obligations. Le photographe Hazir Reka a également transmis leur histoire par le biais de photos en noir et blanc prises lors de ses reportages en Albanie, qui ont été exposées à la Résidence.

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Cette mutation de genre prend généralement deux formes : certaines d’entre elles, animées par un désir brûlant de liberté, veulent échapper au mariage et à leur future condition de servitude ; tandis que d’autres, confrontées à l’absence d’hommes dans la famille, prennent la place du « chef », assurant l’unité et la pérennité de la famille. D’une démarche individuelle contestataire du système à une logique sociale répondant aux valeurs familiales, le statut « vierge jurée » suscite toujours le respect de la famille et de la communauté, autant que la curiosité des nouvelles générations.

Mme Kamberi apporte un éclairage particulièrement intéressant au regard de la singularité de la communauté albanaise dans un espace européen en mutation.

Dernière modification : 28/05/2020

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